De l’orientation en milieu universitaire (blog de Bernard Desclaux)

Publié le par Echos des Préaux

RoseDesVentsDe l’orientation en milieu universitaire Avec l’objectif des 50% d’une génération atteignant le niveau de formation L de l’enseignement supérieur, nous rentrons dans la massification de l’enseignement supérieur de manière explicite. Le travail d’orientation ne peut-être alors renvoyé sur le personnel. C’est une affaire politique et non plus seulement privée. Prendre la responsabilité d’amener 50% d’une génération à ce niveau de formation implique de préparer les étudiants aux tâches d’orientation qui les attendent. Et ce travail, comme dans le secondaire doit-être intégré dans le cursus, et non pas considéré comme une affaire personnelle à traiter par un service à la personne, ce qu’il faut faire aussi, pas pas seulement.

Il y a plusieurs années, j’ai participé à un travail de ce type à l’Université de Nanterre-Paris X, et j’en avais fait une présentation dans une formation d’IEN-IO en 90-91.

Je propose ici quelques réflexions sur différents problèmes qui se sont posés à l’époque, mais qui sont sans doute encore pertinentes aujourd’hui. Elles peuvent s’inscrivent dans le cadre de la réforme de la licence ou de la création des Instituts, défendue par Pierre Dubois. Mais cela touche également à la question plus générale de l’intégration de l’orientation dans l’enseignement (voir sur ce blog pour une conception ternaire de l’orientation ). Vous verrez également que la question de la validation de l’enseignement par la notation est centrale.

Un module d’orientation (GOR) en première année de Sciences humaines et communication (SHC).

 

 

Il était une fois 1968 et ses conséquences

1969 La LOI Edgard Faure, Création des Universités parisiennes, et donc de Paris X, et

de l’UFR de Sciences psychologiques et de l’Education. Dans le cadre de l’organisation du DEUG de psychologie à Nanterre, il y a une préoccupation : beaucoup de candidats aux études de psychologie, et peu de débouchés professionnels. D’où l’idée qu’il faut informer et faire réfléchir les étudiants très tôt à l’horizon professionnel. D’où la création à la rentrée 69/70 de l’UE 105.

Présentation de l’UE 1O5.

Il me semble qu’il y avait cinq caractéristiques à cette UE :

petits groupes. 25 étudiants au maximum.

enseignement se déroulant toute l’année, 19 séances de 1h3O.

l’enseignant est d’abord un professionnel de la psychologie.

il s’agit d’une UE, il y a donc une notation, et cette notation repose en grande partie sur une production, sur un travail individuel.

 

Quelques commentaires sur ces éléments constitutifs.

petit groupe, espace atypique ( TD de 70). Il n’y a pas à vrai dire une “enseignement”, mais des échanges, de la parole entre les différents membres du groupe.

réflexion ‚change sur les professions, sur son implication , son investissement dans la psychologie… Les connaissances que l’on a du milieu professionnel… Les étudiants font des enquêtes, des monographies dont ils rendent compte aux autres.

l’enseignant fait venir des professionnels qu’il connaît (ou ce sont les étudiants) pour présenter un secteur professionnel de la psychologie, et en discuter. Ce fut mon premier contact avec Paris X. Un ami, ex-conseiller, et psycho-clinicien était chargé de cours, et il m’avait demandé de présenter notre profession.

les enseignants sont dans l’extrême majorité des chargés de cours. Je rejoins l’équipe (83-84), car mon ami décide de la quitter à cette rentrée universitaire. A cette époque il n’y a en fait que deux ou trois enseignants de Paris X dans l’équipe, et qui ont des activités professionnelles en dehors de l’enseignement. Et je participe donc à cet enseignement, la dernière année de son existence.

Puis c’est la réforme SAVARY, en 1984, avec les DEUG rénovés

Il y avait le constat de départ des difficultés pour les étudiants manifestées par le fait massif de la disparition de la moitié des étudiants avant la fin du DEUG.

Pour remédier à ces difficultés, plusieurs dispositifs sont préconisés par la Loi, et entre autre une préoccupation concernant l’orientation des étudiants dès l’entrée à l’Université. Les gens qui travaillent alors sur la maquette (entre autre Jean DUBOST), sont des psychologues, et se réfèrent à l’idée de l’UE 105. Le DEUG mis en place suppose la collaboration de quatre UFR ( pour faire simple, psycho, socio, philo et linguistique).

Finalement la maquette fait apparaître un enseignement intitulé GOR (Groupe d’Orientation et de Réflexion), de 1h3O par semaine, par petits groupes de 25 étudiants maximum, dont l’objectif est de présenter les secteurs professionnels et d’y réfléchir dès la première année. Ce GOR existe aussi en deuxième année. Le Ministère accepte la maquette du DEUG rénové en particulier à cause de cet enseignement, c’est ce que l’on nous a dit à l’époque en tout cas.

 

Les conséquences pour les enseignants

L’idée que l’orientation doit être une préoccupation interne à l’enseignement universitaire, se traduit par l’idée que les enseignants doivent être impliqués dans le dispositif.

Sur les quatre grands types de diplômes, il n’y en a qu’un seul qui ne peut se faire qu’en passant par ce DEUG rénové. Pour les autres, il y a une filière spécifique, ou autre qui existe : le DEUG de Philo, le DEUG de Lettres, et la filière rénovée de SSA (Sciences Sociales et Administration). Dans ces “autres filières”, il n’existe pas de GOR, ou d’équivalent. Et la mise en place de la filière SHC s’est faite avec l’appui de certains, et l’opposition des autres. Ceux qui croient dans la réforme, et ceux qui n’y croient pas. Il faut rajouter, que le DEUG SHC ne suppose pas la création d’une nouvelle UFR. Les anciennes existent, et ce n’est que par conventions et collaborations que le DEUG fonctionne. Donc, pour un enseignants, participer aux GOR (point central de la filière rénovée), c’est un engagement public vis-à-vis de ses collègues.

Et c’est aussi exercer un enseignement qui n’est ni de sa spécialité, et ni réellement un enseignement. Il y a là quelque chose qui n’est pas clair. Il y a donc une espèce de forme de “traîtrise” à plusieurs niveaux (politique, UFR, enseignement).

Au départ, il y a finalement à peu près moitié moitié, enseignants/chargés de cours (les chargés de cours étant les anciens de l’équipe de la 105).

Il faut inventer le contenu, le fonctionnement de cet “enseignement”, et la 105 devient une référence. L’idée simpliste de faire faire une monographie sur une profession résout deux problèmes (institutionnels).

Premier problème : quel peut être le contenu d’une aide à l’orientation intégrée dans l’enseignement universitaire ?

Je crois que c’est là un thème général de réflexion sur le statut institutionnel de l’orientation. L’orientation est un problème personnel, c’est un choix personnel, c’est peut-on dire une question privée. Cette conception est particulièrement développée en Université dans la mesure où il n’existe pas de procédure d’orientation. Curieusement (?) l’orientation dans le débat universitaire, ce n’est pas l’orientation interne au sein de l’université. Pour cela, il y a l’information que chacun peut trouver et le CIOUX (Le service commun universitaire d’information et d’orientation). Ce n’est pas non plus les disparitions d’étudiants en cours de DEUG. C’est tout simplement le choix professionnel. Orientation = Choix professionnel. C’est donc dans le futur.

 

Deuxième problème : la validation du module

Il peut paraître marginal, ou même trivial, mais je crois qu’il a en fait jouer un rôle central. Le module devant être validé, il doit y avoir la production d’une notation pour assurer le calcul d’une moyenne. L’introduction de l’aide à l’orientation s’est faite par l’inscription dans le cursus obligatoire de chaque étudiant d’une Unité de Valeur. Ce qui veut dire à la fois obligation de participation et notation. La participation à cet UE intervient dans l’évaluation globale de l’étudiant.

Dans d’autres universités, cette “aide” à l’orientation a été‚ institutionnalisée sous la forme d’une proposition à participation et non sous la forme d’une imposition.

Qu’est-ce qu’une aide imposée ? Ce problème fait retour sur le premier. Il y a là une forme de persécution.

Donc, sur quoi peut-on objectiver la notation ? Nécessairement sur un travail qui se matérialise par un objet produit. On peut donc comprendre que la monographie d’une profession, qui est le modèle de la 105 est une excellente solution à ces deux problèmes.

Le seul aménagement concédé quelques années plus tard, sera l’idée d’une monographie réalisée par petits groupes de trois ou quatre étudiants.

 

Donc le GOR tel qu’il s’est mis en place, avait comme contenu essentiel et premier, l’idée que aider à réfléchir sur son orientation consiste à connaître les secteurs professionnels, connaître le secteur dans lequel on espère s’insérer, et en connaître d’autre. En connaître d’autre, c’est facile, il suffit que les étudiants échangent entre eux leurs connaissances. Mais comment les étudiants, ou chaque étudiants peut-il savoir ce qu’il veut faire ? Comme il y a aussi l’idée de groupe, le premier temps du groupe est organisé autour de deux objectifs.

Tout d’abord il s’agit de faire vivre un groupe, avec des exercices de présentation, d’échanges, et ensuite il faut préparer le choix de la monographie.

Ensuite il faut attendre que les étudiants aient fait leur travail pour qu’ils en rendent compte au sein du GOR.

 

La première année chacun s’est organisé comme il a pu

Une évaluation des GOR est organisée en fin d’année, entre les enseignants et avec les étudiants, d’où il ressort deux idées forces.

Du côté des enseignants

Bilan mitigé, dans le sens où la période avant la restitution des monographies, c’est-à-dire toute la période de la réflexion, est ressentie comme longue, difficile. Après on voit bien que le contenu du GOR, ce sont les échanges entre étudiants. Mais tout ce qui est travail de groupe pour guider la réflexion sur soi est considérée comme difficile, sans techniques.

 

Du côté des étudiants

Au fond ce qui ressort, c’est qu’ils ne voient pas très bien en quoi le GOR peut les aider sur le plan de leur orientation. Au fond pour un étudiant de première année, il vient de s’orienter en ayant fait un choix d’inscription dans telle filière (le DEUG rénové est très mal apprécié les premières années de son existence). Et d’un autre côté, la préoccupation professionnelle est reportée dans l’avenir. C’est un problème de sortie, et pas d’entrée. C’est pour le côté critique, par contre, qu’ils sont très contents. Dans cet espace de parole ils peuvent s’exprimer, être reconnus personnellement, et au fond par la constitution de petits groupes de travail, de camaraderie, ils s’aident mutuellement à s’intégrer dans l’université. Cet aspect était déjà un point fort de la 105, c’est là encore quelque chose de déclaré par les étudiants.

 

Les conclusions du bilan

Le GOR de deuxième année qui existait sur la maquette est supprimé au profit d’un enseignement sur l’entretien. Mais comme tous les intervenants ressentent un besoin de réflexion et de formation, les enseignants décident de se voir en groupe de travail pour échanger sur les techniques, et les méthodes d’animations, trois fois par ans. Ceci je crois est assez exceptionnel en université. Parmi les chargés de cours, nous sommes bientôt quatre ou cinq conseillers d’orientation. On introduit des techniques et des méthodologies d’animation : le Philipp 6×6, le photolangage, ou le photocollage, l’arbre généalogique professionnel, des techniques issues de l’ADVP (méthodologie canadienne développée dans les années 70).

La monographie sur une profession est l’objet de travail proposé le plus largement par les collègues. C’est ce que je propose la première année. Par la suite j’ai essayé de changer à chaque fois d’objet de travail de manière à proposer un objet plus collectif. J’ai donc fait faire une exposition au CIOUX, une série d’entretiens structurés de manière identiques, pour produire un matériel d’animation (du type de la DAPP), une autre année c’est un travail de créativité et de prospective (conséquences des évolutions technologiques et effets sur la demande sociale).

 

Et puis les années passent

Quelques aménagements, les séquences passent à deux heures, un bon cadre pour les techniques d’animation. Ceci suppose moins de séances sur l’année. Certains introduisent alors une coupure dans l’année. Le premier semestre est consacré à la constitution du groupe, à la réflexion, au choix de la monographie ou du thème de travail et à la constitution du petit groupe. Ensuite le GOR s’arrête, et les petits groupes réalisent leur travail, puis le GOR reprend avec la présentation des travaux des uns et des autres.

 

Ensuite l’idée de tuteur apparaît. On réduit encore le nombre de séances en GOR, et le temps qui reste est consacré à la possibilité de recevoir individuellement l’étudiant qui le désir à propos de son orientation. Car même pour la majorité des collègues conseillers d’orientation faisant partie de l’équipe, l’orientation étant avant tout une affaire individuelle, et une affaire de choix, de décision, elle ne peut se traiter que de manière individuelle. L’idée que l’orientation c’est aussi une affaire de représentation sociale, et que cela touche à la capacité à s’imaginer l’avenir, son évolution, et donc de pouvoir s’y préparer, cette idée que j’essaye de défendre, et qui me semble être la seule justification à l’existence de cette “aide à l’orientation” inscrite dans un cursus obligatoire universitaire, n’est pas acceptable par les collègues, y compris par mes collègues conseillers !

 

Les évaluations des enseignants et des étudiants sont de plus en plus négatives. Et finalement, en 88-89, la décision de supprimer les GOR est prise. Mais ces GOR font partie de la maquette acceptée par le Ministère, et donc des moyens supplémentaires sont attribués pour les réaliser. Il n’est donc pas question de supprimer purement et simplement ces GOR. D’autant plus que la fonction que l’on pourrait appeler d’intégration de l’étudiant à l’Université est reconnue comme importante.

Autre remarque expliquant peut être l’évolution. Cette filière s’appelle SHC, ce qui veut dire Sciences Humaines et Communication. Lorsque l’on regarde le contenu du programme du DEUG, il n’est nulle part question de communication. D’où l’idée de transformer ces GOR en GOR-Communication. L’objectif de l’orientation étant supprimé, et remplacé par celui de la sensibilisation des étudiants aux phénomènes de communication.

Beaucoup d’enseignants ont disparus, remplacés par des chargés de cours. Nous avons fait une auto-formation de un ou deux jours sur des techniques de sensibilisations aux phénomènes de communication. Et l’on pourrait dire que au fond, c’est maintenant le modèle du GOR qui organise ce qui se passe dans les GOR-Communication. On retrouve les trois périodes, et le travail à produire pour justifier la notation. L’enseignement consiste essentiellement en animation de groupe à partir de différents types d’exercices sur la perception, les rumeurs, la prise de décision, les préjugés, le travail de groupe…

Cela fonctionne ainsi un an ou deux, puis à nouveau des critiques s’élèvent sur l’infondé universitaire de telle pratiques. Et l’on se dirige vers une unité de valeur de préparation méthodologique au travail universitaire : les étudiants ne sachant pas en maîtrise rédiger leur mémoire, on va les y préparer dès la première année universitaire ! J’abandonne alors ma participation.

 

Conclusions

On peut se demander comment une aide à l’orientation peut s’intégrer dans le cursus obligatoire ? A quelles conditions cela est-il possible ?

 

Et je pense que cette question reste aujourd’hui pertinente.

 

Bernard Desclaux

 

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