Révolution silencieuse

Publié le par Les Échos des Préaux

Depuis quelques années, une petite révolution silencieuse est à l'œuvre dans le système éducatif. Une note récente de la DEPP (Note d'Information 9-13)  confirme le désengagement financier de l'État.  Les dépenses éducatives apparaissent en effet en chute libre et les  inégalités dans leur répartition restent importantes. La Dépenses Intérieure d'Éducation (DIE) est ainsi passée de 7,6 % du PIB en 1995 à 6,8 % en 2006 puis à 6,6 % en 2007. 

 



Stagnation de la DIE depuis 1996

Les chiffres fournis par la DEPP montrent la succession de deux séquences. De 1980 à 1989, la DIE a été  multipliée par 1,26, mais c'est surtout entre 1990 et 1995 que sa croissance a été la plus forte. La DIE est alors passée de 6,4 % du PIB en 1989 à 7,6 % en 1995 [Graphique 1: Part de la DIE/PIB (en%)].

Cette croissance s'explique par deux paramètres. D'une part, les lois de décentralisation ont  transféré des compétences de l'État aux collectivités territoriales. Au début des années 1990, régions et départements se lancent dans de grands travaux de rénovation et de construction de lycées et collèges. D'autre part, la politique suivie par Lionel Jospin au MEN conduit à la revalorisation des carrières  des personnels enseignants, notamment en intégrant les instituteurs, devenus professeurs des écoles, dans la grille des rémunérations des professeurs certifiés du secondaire.


 Graphique 1
 


Depuis 1996, la tendance s'est inversée. La dépense d'éducation progresse moins vite que le PIB et sa part au sein du PIB décroît régulièrement, atteignant 6,6 % en 2007. La dépense moyenne pour un élève du primaire, du secondaire comme pour l'ensemble des élèves, stagne depuis 1999 [Graphique 2 : Dépense moyenne par élève tous  niveaux] .

 Graphique 2
 


Cette césure pourrait être rapprochée de celle observée à propos des « résultats » obtenus par l'enseignement secondaire. En effet, on observe la même inflexion de tendance dans la proportion de bacheliers dans une génération [Graphique 3 : Proportion de bacheliers dans une génération par type de bac]. Cette convergence mériterait un examen approfondie car elle est troublante. Depuis 1995-1996, tout se passe comme si les efforts financiers consentis par la société pour élargir l'accès aux diplômes supérieurs avaient été abandonnés.

Ce sont les dépenses consacrées à l'enseignement secondaire qui fournissent la clé de cette inflexion. La part du premier degré dans la DIE a eu tendance à diminuer entre 1980 (28,9 %) et 1992 (26,4 %), pour remonter ensuite à 28,7 % en 2007. La part de l'enseignement supérieur dans  la DIE a connu une croissance continue : de 14,6 % en 1980 à 18,9 % en 2007. Seul le secondaire a connu une évolution inverse. Sa part dans la DIE s'est maintenue autour de 45 % jusqu'en 2002 mais, depuis 2003, on observe une tendance à la baisse : elle atteint 42,3 % en 2007, soit une baisse de 2,2 points depuis 2002 [Graphique 4: Dépense moyenne par élève du secondaire].

 Graphique 3  
 
 Graphique 4  
   


Une « industrie de main-d'œuvre »

La part des charges de personnel est largement prépondérante au sein des dépenses de l'ensemble des producteurs d'éducation. L'éducation demeure une activité de service forte consommatrice de main-d'œuvre.  Tous niveaux confondus, plus des trois quarts de la dépense globale (soit 76,6 milliards d'euros) sont consacrés à la rémunération des personnels [52,6 % pour le personnel enseignant (soit 53,8 milliards d'euros) et 22,4 % pour le personnel non enseignant (soit 22,9milliards d'euros)]. Les chiffres de la DEPP ne précise pas s'il s'agit exclusivement des traitements ou des traitements et des pensions. La précision est pourtant importante. Lors du dernier débat budgétaire, la part prévue des pensions dans l'ensemble du budget « enseignement scolaire »[1] a été estimé à 25,2 % en 2009,  26,9 % en 2010 et 28,3 % en 2001.

Le désengagement de l'État
L'État finance 55 % du système éducatif, les collectivités territoriales 23 %, notamment grâce aux transferts de crédits Le financement « initial » de l'Éducation est assuré essentiellement par l'État (63 %). Ce poids de l'État dans le financement s'explique par sa part prépondérante dans la prise en charge des rémunérations des personnels. Par ailleurs, l'État transfère des subventions d'investissement vers les collectivités territoriales au titre de la décentralisation[2] et des bourses d'études vers les ménages. Au sein de l'État, le ministère de l'Éducation nationale est le premier financeur initial, avec 55 % de l'ensemble de la DIE. La part de l'État ne cesse de diminuer [Graphique 5: Comparaison de la structure du financement initial de la DIE].

 Graphique 5
 


La part croissante des collectivités territoriales

Les collectivités territoriales (communes, régions et départements) dépensent de plus en plus dans le domaine de l'éducation et de la formation. De 1980 à 2007, la contribution des collectivités au financement initial a augmenté de plus de 8 points, passant de 14,2 %en 1980 à 22,8 % en 2007. Cette croissance de la part des régions et des départements résulte essentiellement des lois de décentralisation pour le second degré et la formation professionnelle. Les collectivités se sont vu successivement attribuer le financement de l'apprentissage, le transport scolaire (1984), le fonctionnement des collèges et des lycées (1986), et l'équipement de ces établissements (à partir de 1986) et la prise en charge progressive de la rémunération des personnels techniciens ouvriers et de service (2006)[3]. Cependant, les dépenses des collectivités territoriales sont nettement supérieures aux dotations qui leur sont transférées. Ainsi, en 2007, les régions et les départements ont dépensé pour l'équipement, la rénovation et la construction des établissements du second degré, six fois plus que le montant de la DRES et de la DDEC (5,7 milliards d'euros contre 0,94 milliard d'euros)[4].

Des inégalités persistantes
Les chiffres de la DEPP démontrent que l'égalité devant l'éducation est moins menacée par le marché que par des disparités géographiques.  Les ménages, avec 7,7 % du financement initial[5], viennent en troisième position dans le financement de la DIE. Leur part dans le financement initial de la DIE (10,8 %en1980) a nettement baissé en raison de l'augmentation des bourses et aides qui leur sont attribuées par l'État et les collectivités locales. En effet, les sommes transférées vers les ménages sont importantes : 2,7 milliards d'euros pour les bourses et autres aides sociales (soit 2 % de la DIE), 1,3 milliard d'euros pour l'ARS versée par les CAF aux familles d'enfants âgés de 6 à 18 ans sous conditions de revenus (soit 1 % de la DIE). Après prise en compte de ces transferts, la part du financement final assurée par les ménages est de 11 % en 2007.  Les entreprises essentiellement par le biais du financement de la formation continue (hors salaires des stagiaires) et du versement de la taxe d'apprentissage (devant représenter respectivement 1,2 % et 0,5 % au minimum de leur masse salariale) participent à hauteur de 6,5 % à la dépense d'éducation. Cependant, des disparités apparaissent selon le niveau d'enseignement. Les communes assurent 39,2 % du financement initial du premier degré[6]. Dans le secondaire, l'État représente 69,6 % du financement. Dans le supérieur, l'État reste le premier financeur (72,6 %), très loin devant les collectivités (10,7 %) et les entreprises (6 %). Mais c'est aussi dans le supérieur que les ménagent doivent assurer la dépenses[7] la plus élevée avec 9 %. L'analyse de la dépense moyenne par élève ou étudiant révèle des inégalités qui demeurent importantes. La dépense s'élève à 5 350 euros pour un écolier, 8 870 euros pour un élève du secondaire et 10 150 euros pour un étudiant. A l'intérieur de ces deux cycles, les inégalités sont fortes : la dépense est de 7 930 euros pour un collégiencontre 10 240 euros pour un lycéen général et technologique et 10 740 euros pour un lycéen professionnel, Dans le supérieur, on consacre 8 970 euros à chaque étudiant en université, 9 020 euros à un étudiant en IUT, 13 360 euros à un étudiant en STS et 13 880 euros à un élève de CPGE.
 


 

[1] . Projet de loi adopté le 6 novembre 2008, N° 12, Sénat, Session ordinaire de 2008-2009, projet de loi, modifié par le Sénat, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012. (Urgence déclarée), p. 4.

[2] Des dotations de décentralisation sont attribuées aux collectivités territoriales au titre des transferts de compétences :  la dotation départementale des collèges (DDEC) qui s'est élevée à près de 320 millions d'euros en 2007 ; la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) représentant 621 millions d'euros, et d'autres transferts compensant des charges, notamment pour le transfert  des personnels techniciens et ouvriers et de services (TOS).

[3] . De plus, depuis 2004, les régions prennent progressivement en charge le coût des manuels scolaires des lycéens. Par ailleurs, le plan Universités 2000, relayé par le plan Universités 3000 (U3M), a accru l'investissement régional dans l'enseignement supérieur.

[4] . Des dotations de décentralisation sont attribuées aux collectivités territoriales au titre des transferts de compétences :  la dotation départementale des collèges (DDEC) qui s'est élevée à près de 320 millions d'euros en 2007 ; la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) représentant 621 millions d'euros, et d'autres transferts compensant des charges, notamment pour le transfert  des personnels techniciens et ouvriers et de services (TOS).

[5] . Avant transfert des bourses versées par l'État et les collectivités territoriales et de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) versée par les caisses d'allocations familiales (CAF),

[6] . Rémunération des personnels non enseignants qui interviennent dans les écoles et dépenses de fonctionnement et d'investissement des écoles.

[7] . Notamment en s'acquittant des frais de scolarité dans les établissements d'enseignement supérieur privés.

Publié dans Billets d'actualité

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