Éducation nationale : Un tournant dans la mobilisation ?

Publié le par Les Échos des Préaux

La rencontre de Xavier Darcos avec l'UNL et la FIDL le 9 mai dernier pourrait bien marquer un tournant du mouvement lycéen et donc du mouvement enseignant.Le jour même de cette rencontre, le site de Libération  publiait un article au titre sans ambiguïté : « Lycéens: la FIDL appelle à la fin de la mobilisation » et précisait : « Le principal mouvement lycéen estime avoir obtenu suffisamment d'avancées de la part du ministère pour cette année. »[1] Le lendemain  10 mai, Libération titrait : « Darcos profite du bac tout proche pour enterrer la contestation ». Le site de 20 Minutes relevait que « les syndicats lycéens s'entredéchirent sur la fin du mouvement », que l'article juge « proche »[2].
La FIDL et l'UNL se sont félicitées des concessions obtenues du ministre. La FIDL a indiqué que, pour elle, la mobilisation « s'arrêterait là pour les lycéens » pour cette année scolaire, tandis que l'UNL, premier syndicat lycéen, appelle à la mobilisation le 15 mai et a indiqué que son syndicat « reste mobilisé ».
Les concessions obtenues sont pourtant très en deçà des revendications lycées, notamment en matière de suppressions de postes. Il est vrai que la mobilisation lycéenne a fortement diminué depuis les vacances de printemps et que les dernières manifestations ont rassemblé de faibles effectifs. Au plus fort du mouvement, le 15 avril, on a compté entre 20.000 et 40.000 manifestants à Paris[3]. Le mardi 6 mai ils n'étaient que 5 000[4].
Avec la rencontre du 9 mai, le ministre entame une double stratégie de division du mouvement lycéenne et de contournement de syndicats enseignants. Le ministre fait mine de céder un peu sur la question des bac pro en 3 ans tout en ne cédant rien sur les suppressions de postes. Il parvient même à faire accepter aux syndicats lycéens le recrutement de 1 200 assistants d'éducation  pour organiser un « dispositif expérimental de réussite scolaire au lycée » à la rentrée 2008 pour les 200 établissements scolaires qui rencontrent les plus grandes difficultés. Il s'agirait « d'un soutien personnalisé assuré par des enseignants, des assistants d'éducation et des étudiants de master se destinant aux métiers de l'enseignement ». Il serait facile de démontrer que cette prétendue « expérimentation » ne fait que rebaptiser des dispositifs existant déjà et surtout qu'elle postule l'existence de ressources humaines facilement mobilisables. On voit mal les enseignants comme les élèves passer leurs vacances dans les lycées. Quant aux assistants d'éducation, leur niveau de recrutement comme leur absence de formation les préparent mal à une véritable activité de remédiation ou de soutien scolaire, sans parler des délais de recrutement. Mais l'essentiel n'est pas là.
Ce qu'a obtenu le ministre de plus important c'est l'amorce d'une réintroduction dans le débat du projet d'une réforme du lycée incluant le rapport Pochard. Le communiqué du ministère précise en effet que « l'échange a permis de parvenir à une convergence de vues sur la nécessité de réformer le lycée pour favoriser une plus grande autonomie des lycéens et leur garantir un enseignement plus personnalisé, offrant les clés d'une meilleure préparation au baccalauréat et d'une entrée réussie dans l'enseignement supérieur ». L'UNL a précisé que « les lycéens ont obtenu l'engagement du Ministre que la réforme du lycée permette de l'autonomie des lycéens et l'interdisciplinarité »[5]. De manière surprenante, aucune des fédérations de l'éducation n'a publié de communiqué sur le résultat de ces discussions.
Non seulement le ministre paraît avoir réussi a divisé les syndicats lycéens, mais il est en passe du même coup de faire éclater l'unité - il est vrai largement fictive - entre les revendications lycéennes et les revendications enseignantes. Le ministère tente ainsi de faire converger les aspirations lycéennes et ses propres projets de réforme du lycée.
Les suppressions massives de postes dans l'enseignement secondaire ne peuvent être poursuivies sans modifier la structure des lycées. Pour la rentrée 2008, le ministère espère compenser les suppressions de postes par le recours massif aux heures supplémentaires. Mais au-delà, les heurs sup ne suffiront pas. Pour réduire le coût budgétaire des lycées, le ministère a bien sur une réforme dans sa poche. Elle consiste à diminuer les horaires des élèves et des professeurs. Ainsi, il sera possible d'accueillir autant d'élèves à moindre coût.
Mai un obstacle de taille se dresse devant lui : les enseignants et leurs syndicats. Pour mener à bien ce projet, le ministre doit  briser l'unité syndicale entre professeurs, élèves et parents, trouver des appuis et un habillage pédagogique.
Le ministre n'évoque plus la réforme du bac car il sait qu'elle souderait les 3 acteurs. En revanche, son projet - encore flou - d'un lycée à la carte pourrait répondre aux projets du ministère comme des syndicats lycéens. Pour M. Darcos, le nouveau lycée devra en effet proposer moins d'heures de cours au profit d'heures d'études et d'enseignements « modulaires ». Bien entendu, ce nouveau lycée devra  « remplacer le redoublement par des enseignements complémentaires », gisement important d'économies budgétaires. Tout cela nécessité une refonte profonde des services des enseignants, c'est-à-dire de leur statut. D'ailleurs le ministre ne s'en cache : il a déclaré au Monde que la réforme du lycée demandera un « aggiornamento important » de la part des enseignants, car « on ne peut pas la séparer de la commission Pochard sur l'évolution du métier »[6]. Ainsi, à la faveur d'une nouvelle situation, le ministère se sent suffisamment fort pour maintenir son intention d'appliquer les conclusions du rapport Pochard.
Dans ces conditions,  la « date référence »[7] du 15 mai risque fort de ressembler à une journée de dupes. Derrière l'unité de façade se profile une recomposition des rapports de force entre les syndicats enseignants, les syndicats lycéens et le ministère.
Bien qu'il s'en défende, le SNES-FSU, principal syndicats enseignant du secondaire a laissé en première ligne du mouvement les lycéens, leur apportant un soutien régulier par des journées d'action inégalement suivies. La mobilisation enseignante, relativement forte et continue dans la région parisienne - très touchée par les suppressions de postes, n'a pas trouvé de relais dans les autres académies. Sans doute le syndicat majoritaire espérait-il un embrasement lycéen comme en 2006 lors du mouvement sur le CPE. Cette stratégie s'avère aujourd'hui une impasse et place les enseignants en position de faiblesse.
D'une part, ils risquent de se retrouver en porte à faux avec leurs anciens alliés - lycéens et parents d'élèves - et par conséquent isolés dans une posture défensive où il sera facile au ministère de dénoncer le corporatisme des enseignants. De plus la tonalité des dernières déclarations du ministre trouvera un écho plutôt favorable parmi certains syndicats.
D'autre part, les appels successifs à des journées d'action sans perspective contiennent un effet démobilisateur sur les enseignants. Même si la journée du 15 est une réussite, on ne voit pas sur quoi elle peut déboucher, d'autant que la période des examens est déjà commencée.
Enfin, l'absence de « direction politique » claire dans laquelle les enseignants pourraient se reconnaître et donc se mobiliser est porteuse de défaites. Ainsi, on voit mal quelle signification donner à la manifestation nationale de la FSU le 18 mai, trois jours après la mobilisation du 15. Ces incohérences qui expriment l'incapacité à construire une stratégie de conflit, passant par des appels unitaires larges au risque d'un durcissement, condamnent les syndicats enseignants à l'échec et à se couper de leur base syndicale.

 

 



[1]. Ludovic Blecher , « Lycéens: la FIDL appelle à la fin de la mobilisation», LIBERATION.FR : vendredi 9 mai 2008, http://www.liberation.fr/actualite/societe/325542.FR.php

[2] . Vincent Glad, « La fin du mouvement lycéen semble proche », 20minutes.fr, éditions du 09/05/2008 - 18h39, dernière mise à jour : 09/05/2008 - 19h39.

[3] . Cordélia Bonal, Enseignants et lycéens main dans la main dans la rue contre Darcos », LIBERATION.FR : mardi 15 avril 2008

[4] . « Les lycéens préparent la journée du 15 mai », Actus humanite.fr 9-05-2008

[5] . Florian Lecoultre, « Président de l'UNL, « Les lycéens obtiennent de premiers reculs de la part du ministre, L'UNL appelle à manifester le 15 mai ! », 9 mai 2008.

[6] . « Xavier Darcos veut bâtir un "lycée à la carte", Le Monde,  | 10.05.08 | 12h31  •  Mis à jour le 11.05.08 | 07h14.

[7] . « Les lycéens préparent la journée du 15 mai », Actus humanite.fr 9-05-2008

 

Publié dans Billets d'actualité

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